Marseille pas pareille

On devrait se méfier des réputations, surtout lorsqu’elles concernent une ville, dont la complexité suffit à briser toute tentative de définition à travers une simple formule. Ce mécanisme de réduction, construit par l’œil extérieur confronté à l’exotisme de l’inconnu, a longtemps fonctionné entre Paris et Marseille. A double sens, la relation passionnelle entre les deux premières villes de France ne produit souvent que du ressentiment et des préjugés. Depuis que, de ville maudite, Marseille est devenue ville enchantée, les Parisiens semblent s’être réconciliés avec elle. Emissions de télé en pagaille, dossiers spéciaux sur la « movida » marseillaise…

La ritournelle de « la ville qui bouge » est devenue un gros cliché, se substituant à celui de Marius sirotant un pastis au café de la Marine. Un nouveau conformisme a remplacé une ancienne absence d’intérêt, pour au final déboucher sur un résultat quasi équivalent: pas de meilleure connaissance de la ville, difficile à cerner si on ne l’écoute pas se raconter elle-même. C’est ce que fait Xavier Girard dans son documentaire radiophonique Marseille, façons de dire, où l’on entend les habitants témoigner de leurs façons de vivre. Et l’on comprend l’énervement de l’écrivain Jean-Paul Curnier devant les dossiers creux des magazines, bêtement convaincus de se faire l’écho d’une absolue modernité urbaine, sans en consigner la complexité et les travers. Pour mieux faire, on écoute Jean-Louis Comolli, Thierry Fabre ou Jean-Pierre Ostende parler de l’âpreté de cette ville, traversée par le vent, qui met tout en mouvement, où tout vole, des sacs poubelle aux journaux gratuits qui jonchent les rues. On tend l’oreille pour y imprimer le ressac de la mer et le bruit sourd des courants d’air qui fusent à travers les passages secrets des quartiers. On écoute ces Marseillais s’inonder de leurs propres paroles, dont ils ont fait un art un peu théâtral. Impression de prendre le large. La Méditerranée est ce qui manque le plus à Paris.