Corps et armes

Mon corps n’en fait qu’à sa tête. J’ai beau l’éduquer, tenter de le discipliner depuis l’adolescence, rien n’y fait. Il refuse de m’écouter, comme un enfant trop gâté. Alors, pendant que d’autres tentent péniblement de se conformer au diktat esthétique de l’époque, infligeant une punition radicale, exemplaire, au moindre bourrelet rebelle, les miens, de bourrelets, prolifèrent sur ce corps-artiste, qui s’invente, frondeur, en marge de la norme. Petite inspection devant la glace. Ici et là, des plis, des creux, des paquets de chair affaissée, et aux articulations des jambes, genoux, chevilles, quelques plaques violacées qui gagnent du terrain. C’est très beau. Rubens n’a qu’à bien se tenir. Le médecin très gentil hoche la tête, mais je sens une pointe de scepticisme devant mon éloge de la désobéissance. Obésité morbide, il dit. M’en fous, j’ai les plus beaux seins de la terre. Il insiste. Masse graisseuse à son taux maximal, risques de diabète, d’accidents cardiovasculaires. Décidément, la médecine a toujours l’art de vous foutre la trouille. Fini de rire, passons aux choses sérieuses. Diète et sport. Pour Karen, une jeune femme dont Philippe Lasry raconte l’émouvant parcours sur France 3, la solution aura été plus radicale: le by-pass gastric. Il s’agit d’un rétrécissement de l’estomac aux trois quarts et d’une réduction de l’intestin. Essayez, après ça, de manger deux éclairs à la suite … Pétillante, vive, une lourde chevelure d’ébène, de petits yeux rieurs, une grâce insensée, Karen est vraiment très jolie. Au début du portrait, elle pèse 117 kg pour 1,65 m. A la fin, elle en fera 50 de moins, mais n’aura rien perdu de son charme. Face caméra, elle se livre sans fard, corps et âme.

l'Homme

Les débuts de son obésité à 10 ans, après la mort de son grand-père, la crainte de ne plus être aimée de sa mère à mesure que son corps enflait. Et la joie, en maigrissant, de se réapproprier peu à peu son image. C’est bouleversant. Je tourne le bouton et fonce chercher les coordonnées de l’Hôtel-Dieu…