Focus sur une photographe

Le temps le confirmera, Jean Dieuzaide restera à tout jamais le leader qui a su rassembler autour de lui, de nombreux compagnons de route pour les mener dans cette longue marche dans le désert culturel qu’a connu la photographie dans les années soixante. C’est son dynamisme qui nous incitait à nous battre contre [‘indifférence affichée par les structures officielles ou les milieux de l’art en général. C’est sa volonté qui nous a permis de vaincre le découragement et de poursuivre une lente mais permanente progression dans la reconnaissance de cet art bien ignoré. C’est sa combativité qui nous a permis de franchir nombre d’obstacles dressés sur notre chemin. C’est sa profonde sensibilité qui nous a aidés à mieux analyser les images et leurs langages. C’est son immense respect pour le « métier » qui a permis à ce véritable Compagnon de faire reculer certains industriels décidés à sacrifier le papier baryté au profit du banal support plastique. C’est avec Jean, le Yan toulousain que, déçu par les manifestations d’un monde amateur conformiste et aphone, nous avons créé en 1964, avec quelques amis parfois disparus eux aussi, le Groupe Libre Expression, groupe d’avant-garde qui bouscula quelque peu ce monde somnolent. Une tentative de renouvellement bien dans l’esprit de Dieuzaide perpétuellement à la recherche d’une idée novatrice ouvrant la voie à la découverte d’une autre facette du monde. C’est de cette époque que date, entre autres, sa fameuse série sur le brai, par ailleurs véritable thérapie personnelle. C’est autour de lui que ce même noyau d’activistes enthousiastes se retrouvera bientôt autour de Lucien Clergue pour l’aider à lancer en 1970 une nouvelle aventure du côté des Alyscamps, celle des rencontres d’Arles où le Groupe Libre Expression présentera sa cinquième et dernière exposition. Parallèlement à cette activité artistique pure, Jean Dieuzaide ne restait pas inactif assurant avec une disponibilité entière un travail professionnel harassant, reportage, portrait, illustration, publicité qui l’amène alors à créer une véritable petite PME. Ce travail alimentaire nécessaire lui vaudra une grande renommée, mais ne satisfera pas, bien entendu, son besoin de création, et sa soif d’humanisme, sa curiosité incessante et son besoin de découvrir et rencontrer les autres. En 1974, après une lutte acharnée avec la municipalité toulousaine, Dieuzaide parvient à obtenir de celle-ci un lieu d’exposition dans un édifice voué alors à la disparition: ce sera le Château d’Eau. Et là encore, Jean en appelle aux copains. Ce « missionnaire de la photographie » comme l’a écrit Marc Riboud, va ainsi ouvrir à la photographie et aux photographes la première galerie permanente française. Une aventure qui dure encore, après plus de 280 expositions, et qui reste le point de départ réel de l’éclosion des galeries privées en France, Après son grave accident de voiture en 1971 qui le laissera cinq mois cloué au lit, mais pas inactif pour autant, c’est un autre Dieuzaide que nous allions retrouver. Un Dieuzaide qui découvre l’œuvre et les écrits de Minor White. Son mysticisme s’exacerbe et l’amène à comprendre ce qu’il ressentait jusque-là: le perpétuel échange entre la matière et l’esprit, la possibilité par le biais de la photographie de trouver un chemin pour rendre hommage à la Création et à Dieu. Une plongée dans un mysticisme combattant qui ne l’empêchera pas de poursuivre d’autres combats plus terre à terre. En nous sensibilisant par exemple sur la responsabilité des photographes, tant amateurs que professionnels de l’impasse où se trouve alors la photographie. En 1972, c’est avec passion qu’il se bat à Arles pour que la photographie entre au musée, année où seuls le musée Réattu et le cabinet des Estampes à la Bibliothèque Nationale, possédaient une collection de photographes contemporains. Il mobilise à nouveau ses amis l’année suivante pour appeler à la création d’un enseignement de la photographie alors inexistant en France. En 1977, il entame alors une nouvelle bataille pour la défense du traditionnel papier que certaines firmes envisagent de supprimer. A son appel, répond une véritable levée de boucliers internationale rassemblant des milliers de pratiquants qui se soldera, fort heureusement, par une victoire.

photographeMilitant, activiste, philosophe, propagandiste passionné, Jean Dieuzaide reste avant tout un homme d’image qui n’a de cesse de faire partager à ses amis et aux autres l’élégance d’une forme, la beauté d’un rayon lumineux, l’essence même des choses. Ces longues discussions échangées avec lui en feuilletant des photographies, les enthousiasmes et les colères d’un gascon chaleureux restent dans la mémoire de tous. Son œuvre immense – et cependant encore mal connue – a bizarrement été quelque peu occultée ces dernières années par ceux-là même qui, indirectement, lui doivent leurs responsabilités actuelles. C’est ainsi que sa dernière grande exposition à Paris, au Pavillon des Arts fin 2002, qui a rassemblé une nouvelle fois autour de lui tous ses véritables amis, s’est vue désertée par nombre de personnalités sans doute plus attirées, aujourd’hui, par une contemporanéité plus commercialement à la mode. Profonde erreur car, par son authenticité, sa rigueur, sa sensibilité, cette œuvre réalisée avec une véritable « foi » religieuse, avec une passion absolue est l’essence même de la photographie. L’ami, le copain, le confident des bons et des mauvais jours a pris aujourd’hui une autre voie pour explorer cet autre monde qu’il n’a cessé d’entrevoir et auquel il croyait beaucoup. Mais il n’est pas parti, ses images débordantes de passion, ses « images qui donnent le courage de vivre » à écrit Robert Doisneau, raviveront sans cesse le souvenir d’un homme exceptionnel à qui nous devons tous beaucoup.