Une chambre en ville
Ah, quelle bataille d’Hernani ! L’année dernière, on ne parlait que de ça dans les gazettes Demy contre Belmondo, « Une chambre en ville » contre « L’as des as ». Fausse bataille et vain combat, les critiques s’en aperçurent trop tard. Enfin, à tête reposée, on peut aujourd’hui se faire une opinion sereine sur la comédie musicale de Jacques Demy. Celui-ci l’a située à Nantes en 1955, l’époque de la Grande grève des chantiers navals. Comme pour « Les parapluies de Cherbourg », c’est un film « tout chanté ». Il est facile de se moquer, surtout quand les gardes mobiles et les ouvriers manifestants s’affrontent en roucoulant leurs slogans et leurs ordres. C’est en tout cas projet ambitieux, et l’obstination de Demy force le respect. Seulement, le temps a passé, le rétro, ici, n’a pas le charme désuet qu’on attend, les dialogues sonnent faux. La musique de Michel Colombier, en outre, ne vaut pas celle de Michel Legrand. C’est dommage : « Une chambre en ville » aurait pu être un joli mélodrame social, comme nous en manquons, malheureusement, dans le cinéma français.
New York New York
L’histoire ne vaut pas un sou : juste une love story simplette style fin des années quarante. Lui, Jimmy Doyle, est un jeune homme un peu fou et très ambitieux. Elle, Francine Evans, est une jeune femme un peu folle et surtout très ambitieuse. Tous deux sont musiciens. Lui de jazz (saxo), elle de variétés. Ils s’aiment, ont un enfant, se déchirent, se séparent, se réparent, se quittent à nouveau… En chemin, deux étoiles sont nées ! De ce scénario à l’eau de rose, Scorsese a pourtant tiré un vrai chef-d’œuvre. Esthétiquement beau, luxueux, parfois pathétique, souvent comique, « New York, New York » est un enchantement. Rarement un film aura réconcilié avec harmonie autant de genres différents. C’est mélo, musical, drôle, intelligent et sophistiqué. Un vrai bonheur. Quant au couple vedette, de Niro-Minnelli, un seul mot les définit parfaitement tous les deux remarquable ! Côté musique : mêmes éloges. Du jazz, du blues, du be-bop… et du meilleur ! A condition d’aimer les années quarante, le saxo, les décors en carton pâte, la fausse neige, la « gueule » d’atmosphère de Liza Minnelli, la dégaine de de Niro et d’avoir la nostalgie de la grande époque du cinéma made in Hollywood, ce film est ce que l’on a fait de mieux depuis « Chantons sous la pluie ». Certes, c’est de la guimauve, mais la recette a fait ses preuves. Un vrai film sucre d’orge ! On pouvait espérer, lors des débuts euphoriques de l’édition vidéo, que les éditeurs n’allaient pas se contenter de mettre en boîte des produits existant déjà sur d’autres supports, principalement des films, bien sûr. C’est pourtant ce qui s’est passé. L’édition, et plus encore la production de produits spécifiques, didactiques, documentaires, sont loin de s’être développés comme on l’attendait. Et tout nouvel éditeur n’ayant pas les moyens d’acheter de grands films, trustés par les majors, préfère acquérir les droits de n’importe quel « Jim Kelton défie Liu-Shao-Shi » ou « Monstrueux arracheurs d’orteils de Tegucigalpa » plutôt que de tenter l’aventure d’un cours de japonais, de poterie ou d’électronique par l’image animée… Il est vrai que la grande majorité des vidéoclubs hésite à stocker autre chose que du film. A l’achat, le prix d’un programme didactique est plutôt dissuasif, et le nombre de loueurs potentiels d’un cours de Rubik’s cube est trop peu élevé pour lui permettre d’amortir ce style de produit. Le problème, c’est que l’éventuel client d’un programme pédagogique ou culturel ignore bien souvent jusqu’à son existence, faute d’information suffisante, et ne risque donc pas de le demander. Cercle vicieux : personne ne réclame cela, donc ça ne marche pas, donc ça ne marchera jamais, donc je ne le commande pas, se dit le vidéoclub. L’éditeur courageux ne voit pas son effort récompensé, il en conclut égaiement que ça n’est pas prêt de marcher, et se redirige vers la série Z. Quand on les interroge, il paraît évident à tous les professionnels de la vidéo, producteurs, journalistes, exploitants, que le marché des « produits spécifiques » spécialement pensés pour cette forme d’édition est non seulement un marché d’avenir, mais même le principal marché du futur de l’audiovisuel à domicile, et de l’audiovisuel tout court, tant va être grand, ces prochaines années, le besoin d’images, câblées ou satellisées… Même les éditeurs vivant actuellement des pires X ou des plus ineptes navets prétendent envisager se lancer un jour ou l’autre dans l’édition ou la fabrication des programmes didactiques les plus divers et les plus inattendus. Gageons d’ailleurs que cuisine et aérobic viennent en tête de leurs plans sur la comète vidéo… Un jour ou l’autre, ça veut dire dans un an, dans deux ans, dans dix ans… personne n’en sait rien. On attend que « le public soit prêt », et il sera peut-être prêt lorsque le stock des films de cinéma commencera à se restreindre. Malgré la boulimie éditoriale du moment, ce n’est pas demain la veille. Bien sûr, le support cassette n’est pas idéal. et malgré les améliorations sensibles des magnétoscopes en matière de recherche d’images, de retour arrière et de relecture rapide, la bande reste fragile. La recherche et l’étude partielle d’une séquence ne sont pas toujours des plus commodes. Le système de compteur du V2000 et la facilité qu’il y a à programmer la lecture de certaines parties repérées à l’avance aurait pu donner un sérieux « plus » à cet appareil si le marché didactique avait été davantage développé à sa naissance : le V2000 était l’appareil à bandes le mieux adapté à ce type de programmes. Le support le plus intéressant pour tous les cours d’initiation est bien entendu le mythique vidéodisque, avec lequel l’utilisateur peut engager un quasi dialogue en temps presque réel, sans perdre son attention à rechercher tel ou tel point sur une bande. Il est certain que le développement commercial du serpent de mer, pardon, du vidéodisque, entraînera une floraison de cours, de leçons et d’études audiovisuelles dans tous les domaines. Deux raisons principales : l’interaction aisée entre l’élève et son programme, et surtout le prix de vente ! On a plutôt tendance à acheter qu’à louer un programme éducatif, et le gros obstacle du prix élevé de la cassette devrait être levé par le coût théorique bien moindre du disque… Une sérieuse concurrence à prévoir : les programmes de formation et les cours pouvant s’adapter à l’édition informatique. Pour des cours de gestion, d’orthographe, ou… d’informatique, par exemple, c’est un support plus souple, plus riche, permettant une participation beaucoup plus impliquée de l’étudiant. Mais tout le monde n’a pas encore son petit micro chez soi, en France, et ce n’est encore qu’une forme embryonnaire d’édition grand public. Et pour tout ce qui réclame le soutien de l’image ou du son « vrais », présentation d’une salade kirghize terminée, d’un bouquet de fleurs composé, du geste précis du vertébrothérapeute ou d’une mélodie enfin correctement jouée à l’ocarina, le support audiovisuel classique reste inégalé… Où en est-on aujourd’hui ? Environ 250 cassettes sur les sujets les plus divers sont disponibles ou potentiellement disponibles au grand public. Plus quelques magazines confidentiels et plusieurs magazines professionnels aux cibles très pointues, financés en général par la publicité, dont Médite, destiné aux médecins généralistes, reste la principale réussite (5600 abonnés payants pour ce mensuel). 6000 références vidéo en France, 42000 aux USA. 250 programmes éducatifs chez nous, des milliers aux États-Unis sur tout et n’importe quoi, plutôt prisés malgré leur prix : de l’aérobic, de la cuisine-française, mexicaine, chinoise, cinghalaise du sport — tous les sports par les plus grands champions, comme Jack Nicklaus pour le golf ou Pelé pour le football , des adaptations des classiques éducatifs, avec l’inévitable Docteur Spoçk répétant à l’image ses éternels conseils sur l’élevage du bébé en parc, des cours de striptease, de poker, de danse du ventre, de yiddish, de maquillage, de bonnes manières, de mauvaises manières, de secourisme, de gravure sur bois, de violon, d’aérobic et d’aérobic.. On n’en est pas là, et la demande du public français reste floue, le besoin pour ce type de produit n’étant pas encore véritablement créé. Les gros éditeurs, en dehors de RCV, ne se mouillant pas trop, ce sont des indépendants qui se lancent bien souvent dans l’aventure, comme Imago à Paris ou VO à Grenoble. Ou des organismes officiels comme la Cellule d’animation culturelle du ministère des Relations extérieures, qui ne publie pas de programmes institutionnels, mais des documents inamortissables financièrement par un éditeur classique, sur les Dogons, ou des artistes comme Marguerite Duras et Armand Gatti. Ce sont ces entreprises là qui finiront par développer le secteur, et à terme finiront par donner une véritable signification aux mots « éditeur vidéo ». Vidéo 7 se propose aujourd’hui de recenser tous ces programmes, et d’en faire la critique : cassettes individuelles, séries de longue haleine, initiation à l’art, au sports ou à la cuisine, pédagogie, prestations de service, magazines professionnels et grand public.., le sujet est vaste. Donc, appel aux timides qui cachent leur mystérieux programme sur le macramé (niveau débutants) ou sur le fortran (niveau avancé) : faites-les nous connaître ! Nous en parlerons dans nos prochains numéros.